Accueil du site > Publications > Articles > Identité culturelle > La communication et le droit à la parole dans une interaction du même et de (...)

Publications

La communication et le droit à la parole dans une interaction du même et de l’autre

in Sociotypes, Cahiers de Praxématique, Montpellier, 2004 (à compléter), 2004

Version imprimable de cet article Version imprimable

Poser le problème du "même et de l’autre" en discours, c’est poser le problème de l’identité du sujet parlant, en tant qu’être communiquant, et donc de son droit à communiquer. Autrement dit, pour tout sujet qui veut parler se pose la question de savoir s’il est fondé à le faire, faute de quoi il n’existerait pas en tant que sujet parlant.

Parfois l’institution vient au secours de cette interrogation angoissante, et semble éviter au sujet parlant d’avoir à se poser une telle question. Ainsi, aujourd’hui, moi, ici, devant vous, institutionnellement annoncé et présenté comme conférencier, je peux me croire fondé à parler. Mais en est-il ainsi dans toutes les situations de communication ?

Qu’est-ce qui, par exemple, peut m’autoriser à arrêter quelqu’un dans la rue et lui poser une question ? Qu’est-ce qui fait que si je lui demande l’heure, ou bien l’emplacement de la gare, il y a de fortes chances pour qu’il me réponde, et donc m’accepte comme locuteur alors que si je lui demande de l’argent, ou l’emplacement de la gare de Perpignan — me trouvant à Paris —, il y a de fortes chances pour qu’il ne me réponde pas, où m’envoie sur les roses, signifiant par là qu’il ne me reconnaît pas comme locuteur.

Car la reconnaissance du droit à la parole exige plus qu’une simple réaction de la part de l’autre. Il faut que cet autre, par un comportement qui montre qu’il reconnaît le bien fondé de votre parole, dans cette situation particulière, vous fasse exister en tant que locuteur.

Et tout compte fait même dans la situation de conférence que je viens d’évoquer, rien n’est définitivement joué. Tout conférencier sait que l’alibi institutionnel — dont le droit à la parole semble être conféré par la seule présence du public — il faut encore qu’il soit reconnu dans une identité de sujet compétent.

Reconnaissance du "droit à la parole" et "identité" du sujet parlant représentant donc les deux faces d’une même monnaie, monnaie d’échange qui circule entre le même et l’autre pour constituer le sujet de langage.

Pour traiter cette problématique du "droit à la parole", il est nécessaire de poser encore deux postulats :

1) Tout d’abord, un postulat sur le sens :

Le sens, malgré une idée tenace, partagée aussi bien par le sens commun que par certaines théories cognitivistes, n’est pas nécessairement fondé en vérité.

Comme le rappelle H. Parret (1989) [1], le sens se construit sur “la théâtralisation généralisée de la vie communautaire, le jeu quotidien des simulacres, consciemment ou inconsciemment assumés, le partage des rôles, la métaphorisation et la figuration de nos paroles…”. De même, ce n’est jamais de l’autre ou de soi dont il est question, mais d’une image de soi ou de l’autre construite en fonction des enjeux de la communication.

Le sens est à la fois notre mythe et notre réel.

2) Le deuxième postulat consiste à poser que l’identité ne préexiste pas à l’acte de langage, mais qu’elle résulte d’un jeu de va-et-vient entre pratiques et représentations langagières.

Les pratiques langagières correspondent aux comportements effectifs des sujets lorsqu’ils sont dans l’action communicative ; elles témoignent, le plus souvent de manière implicite, de la façon dont les sujets se voient et voient l’autre, condition nécessaire à tout acte de communication (voir ci-dessous).

Les représentations langagières correspondent à une tentative, de la part des sujets, d’explicitation plus ou moins consciente de la façon dont ils perçoivent l’autre et soi-même.

Les images qui résultent de ces représentations ne coïncident pas nécessairement avec celles que révèlent les pratiques, car elles valent pour ce que disent les sujets et non pour ce qu’ils font. Il n’empêche que ces représentations existent dans la conscience du sujet, qu’elles vont même jusqu’à influencer ses pratiques, et que, se faisant, elles participent du processus de construction de son identité.

Ces préalables étant donnés, je me propose d’exposer ici :

  • d’une part, quels sont les Principes qui fondent ce "droit à la parole", pour montrer comment s’inscrivent le même et l’autre dans la construction de l’acte de langage,
  • d’autre part, un exemple particulier de construction identitaire du même et de l’autre, dans des rapports interculturels (France - Mexique), à partir d’une enquête sur les représentations (ethnotypes).

LE DROIT A LA PAROLE A TRAVERS LA DIALECTIQUE DU MEME ET DE L’AUTRE.

S’agissant de la communication sociale, nous dirons que le "droit à la parole" se fonde sur quatre principes indissociables les uns des autres.

1. Un principe d’interaction qui définit l’acte de communication comme un phénomène d’échange entre deux partenaires, lesquels se trouvent :

  • dans une relation interactive, non symétrique, du fait qu’ils sont engagés à tour de rôle dans deux types de comportements cognitifs qui mettent en place un double processus d’intercompréhension : d’une part processus d’émission - production de discours, d’autre part processus de réception - interprétation de discours.
  • corrélativement, ils sont liés par la reconnaissance réciproque de ces deux rôles de base, qui ne peuvent exister qu’à partir du moment ou l’autre, l’interlocuteur s’engage dans le processus d’interprétation.

En effet, il ne suffit pas que celui-ci joue le rôle d’un simple réceptacle mécaniste, comme dans les théories béhavioristes de la communication.

C’est en montrant que au-delà de la réception, il s’est engagé dans un processus d’interprétation, que cet autre se fera exister comme partenaire - interlocuteur et, du même coup, fera exister l’émetteur comme partenaire - locuteur.

Il s’instaure donc entre les deux partenaires, ce que j’appelle, un regard évaluateur de réciprocité qui postule l’existence de l’autre dans son rôle de base comme condition à la construction de l’acte de communication.

On peut dire que, selon ce principe d’interaction, il y a l’autre et il y a moi : “l’autre constitue le moi”.

Par exemple, dans cette situation de conférence, je ne peux prétendre à mon existence de conférencier qu’à partir du moment où d’une part je peux percevoir l’existence d’un autre, vous, le public, et d’autre part je peux postuler que cet autre est là pour s’engager dans un processus d’intercompréhension. A cette seule condition je me sens légitimement constitué comme ayant droit à la parole.

2. Un principe de pertinence, complétant le précédent, qui exige que les partenaires de l’acte de langage possèdent en commun un minimum des données qui constituent cet acte, faute de quoi ils ne pourraient échanger (“dialogue de sourds”).

Il faut donc, d’une part, que ces partenaires puissent supposer qu’ils ont une intention, un projet de parole qui donnera à l’acte de langage sa motivation, sa raison d’être, d’autre part que, étant donnée cette postulation d’intentionnalité, ils postulent encore, par regard évaluateur interposé, que l’autre partage les mêmes lieux de reconnaissance ;

Ces lieux de reconnaissance sont : les savoirs sur le monde, les valeurs portées sur le monde et les comportements des acteurs sociaux qui sont normés par des rituels.

Le phénomène de reconnaissance de ces données investies dans un acte de communication particulier constitue ce que j’appelle un "contrat de communication". Sans la possibilité de reconnaissance d’un tel contrat, pas de pertinence de l’acte de communication et donc pas de légitimation des partenaires ni de droit à la parole.

Nous pouvons dire que, selon ce principe, les partenaires établissent une alliance objective pour co-construire un contrat et par là-même, s’auto-légitimer.

Ici, l’autre se confond avec le même dans une collusion identitaire : “l’autre c’est moi”.

Dans la situation présente de conférence, nous sommes supposés partager un même contrat, ainsi que certaines des valeurs et des savoirs qui s’y déploient.

3. Un principe d’influence qui pose que ce qui motive l’intentionnalité du sujet parlant s’inscrit dans une finalité actionnelle (ou psychologique), finalité qui porte les partenaires de la communication à “satisfaire au principe de la maîtrise des enjeux” (Ghiglione, 1986) [2]. Ceci implique que le sujet communiquant soit amené à “agir discursivement vis à vis d’un autrui pertinent (destinataire - interprétant) qui pourra toujours ré-agir de même, pour inter-agir” (Chabrol, 1990) [3], ce qui justifie, du même coup, la mise en place par celui-ci de stratégies orientées vers un effet perlocutoire.

Ces stratégies dépendront des postulations que le sujet communiquant fera sur son partenaire. A priori, il peut percevoir celui-ci comme favorable, défavorable ou indifférent à son projet d’influence, et selon le cas il choisira de l’atteindre à travers une visée factitive, informative, persuasive ou séductrice  [4] (pour la définition de ces visées, voir Charaudeau (à paraître)).

Ici, l’autre est bien perçu dans sa différence, mais c’est pour mieux le maîtriser, et le rendre dépendant du moi ; car l’idéalité de ce principe d’influence voudrait que l’autre parle et agisse comme moi l’entend. “L’autre est à moi”.

4. Un principe de régulation qui constitue, à la fois, la condition pour que les partenaires s’engagent dans le processus de reconnaissance du contrat de communication, et la condition pour que se poursuive et aboutisse l’échange communicatif.

Une fois posé le principe d’influence qui met les partenaires dans un rapport de lutte discursive pour la maîtrise des enjeux de la communication, et qui fait que chaque fois que l’une des deux cède du terrain, il perd un peu de son identité, voire disparaît complètement, il faut bien concevoir un principe qui régule ce jeu d’influences.

Ce principe de régulation permet donc au sujet communiquant de mettre en œuvre certaines stratégies de base dont la finalité consiste à assurer la continuité ou la rupture de l’échange :

  • acceptation/rejet de la parole de l’autre et de son statut en tant qu’être communiquant (c’est à dire de son "droit à la parole") [5]
  • valorisation/dévalorisation du partenaire, tout en lui accordant le droit à la parole, ce qui peut amener à construire une sorte de théorie des faces telle que suggérée par Goffman.
  • revendication/aveu de la part du sujet parlant, à propos de la construction de son identité, identité qui peut être rapportée à une “identité collective avec des nous (groupe de référence positif) et contre les autres (groupes de référence négatifs)” (Chabrol, 1990) [6], ou à une “identité personnelle pour se différencier vis à vis de tout autrui…” (id.).

Evidemment, la mise en œuvre discursive est bien plus riche et complexe que ces stratégies de base dans la mesure où ces comportements peuvent être joués, peuvent se masquer les uns les autres, et ne laisser l’intentionnalité du sujet que dans le tréfonds de l’implicite.

Ici, revenant à la problématique du même et de l’autre, on peut dire que le principe de régulation met en place un jeu dans lequel tantôt l’autre est nié ou adulé comme autre (“l’autre c’est l’autre”), tantôt le moi est revendiqué comme moi (“moi c’est moi”, singulier ou collectif).

Ainsi, on le voit, la problématique du même et de l’autre se déploie bien de façon dialectique dans ce qui constitue le fondement de l’acte de langage, à travers la construction identitaire des partenaires de cet acte, c’est à dire dans leur "droit à la parole".

LES REPRESENTATIONS COMME JUSTIFICATION DU DROIT A LA PAROLE

Le C.A.D. venant de terminer une enquête interculturelle entre la France et le Mexique, qui porte sur la façon dont se perçoivent Français et Mexicains, il m’a paru intéressant de vous en présenter quelques traits saillants pour illustrer comment à travers les ruses de la construction identitaire interculturelle se constitue le "droit à la parole".

1. LE CADRE DES HYPOTHESES DE BASE POUR L’ETUDE DES REPRESENTATIONS INTERCULTURELLES.

- "Culturel" : il ne s’agit pas ici du sens que donne, dans la plupart des sociétés, l’ usage commun ("ce qui réside dans la connaissance des grandes œuvres"), ni de celui des anthropologues (les "aires culturelles"), mais plutôt de celui que propose la psychologie sociale : “la configuration des comportements appris et de leurs résultats, dont les éléments composants sont partagés et transmis par les membres d’une société donnée” (R. Linton), et auxquels, faut-il ajouter, ces mêmes membres attribuent une valeur.
- "Représentations" : Rappelons que cette enquête porte sur les représentations et non sur les comportements effectifs des individus d’une communauté sociale. Il s’est agi ici de recueillir des mots et des discours qui témoignent de la manière dont ces individus se perçoivent et perçoivent les autres. Ce qu’ils disent vaut pour ce qu’ils se représentent et non nécessairement pour ce qu’ils font.
Cependant ces représentations ne constituent pas pour autant un miroir déformant de la réalité. Les représentations — et cela est largement montré par les travaux de la psychologie sociale — sont elles-mêmes une réalité qui à la fois témoigne de ce que sont les comportements, et les influence. Elles sont comparables à ce phénomène optique de diffraction qui fait qu’un rayon lumineux projeté sur une surface liquide se réfracte en parties dans le liquide, en changeant son angle d’incidence, et, en partie se réfléchit sur la surface. Ainsi, les représentations disent quelque chose sur l’autre par rapport à soi-même et quelque chose sur soi-même par rapport à l’autre.
- "Identité" : c’est une notion à la fois collective et subjective.

  • Collective — serait-ce l’identité personnelle —, parce qu’elle ne peut naître qu’à travers la conscience d’un comportement de soi qui passe nécessairement par la perception de l’autre, qu’il soit du même groupe social ou d’un autre.
    L’identité est toujours au moins duelle ; qu’elle se construise en intégrant l’autre ou en le rejetant, elle dépend toujours de l’autre ; parce que l’individu est en perpétuel dialogue avec son double : “Son double ? Lequel est l’original et lequel est le fantôme ? (…) il n’y a ni extérieur ni intérieur, et l’autrui n’est pas là-bas, en dehors, mais ici, au dedans : l’autrui, c’est nous-mêmes.” (O. Paz, Posdata).
    Si un individu se juge "hospitalier", "joyeux", "non agressif", c’est, à la fois, en fonction de ceux qu’il voit ainsi, comme un modèle idéal auquel il cherche à s’assimiler, et de ceux qu’il juge "non hospitalier", "agressif", etc., et dont la parfaite différence l’attire et le fascine.
  • Subjective, parce que elle procède d’un mouvement d’intériorisation de ce modèle idéal en contre d’un autre modèle rejeté, d’intériorisation qui influence nos comportements.

S’agissant de déterminer l’identité de l’autre, ce même mécanisme se reproduit appliqué à l’autre, toujours à travers soi, mais avec un mouvement d’évaluation différent puisqu’il s’agit de juger l’autre et non plus soi.

- Stéréotype : le stéréotype est constitutif de la manière dont se construit la conscience identitaire. Il construit dans l’instant même de son émergence, un système de défense, face à la différence que représente l’autre. Cette différence peut être une menace pour le sentiment identitaire de l’individu, et celui-ci, en conséquence, pour se protéger dans la comparaison attribue aux membres de l’autre groupe des traits typiques d’une position basse (sous-évaluation). Ainsi se forment des "masques" qui paradoxalement peuvent aussi protéger et constituer notre "être social". Le masque n’est pas un faux, le masque n’est pas un double visage, ni l’écran à un vérité. Le masque est constitutif de la vérité de l’être social, et représente une parcelle authentique de son identité.

Ainsi, que les mexicains se disent "machistes" ou les français "non ouverts", comme on le voit dans cette enquête peut sembler banal et donc guère révélateur d’une identité profonde. Pourtant le seul fait qu’un groupe social s’attribue une caractéristique identitaire est en soi intéressant, et doit nous amener à nous poser un certain nombre de questions :

  • quel est le sens des mots utilisés pour s’attribuer (ou attribuer) tel ou tel trait d’identité ?
  • est-ce que le trait qu’on s’attribue (ou qui est attribué à l’autre) a une valeur positive ou négative .
  • ce trait d’identité est-il attribué en même proportion et avec la même valeur selon que le groupe est en contact ou non avec l’autre, et selon qu’il s’agit des hommes ou des femmes ?

En fait le stéréotype est une réalité composite, non homogène, qui est bien plus révélateur de l’identité d’un groupe qu’on ne le pense habituellement.

- L’effet de retour : Notons qu’il s’agit, dans cette enquête, de mettre au jour une identité socio-culturelle qui devient interculturelle du fait qu’elle met en présence deux groupes de cultures différentes, ce qui nous amène à parler des effets qui se produisent lorsque deux groupes sociaux sont amenés à se regarder.

Dès l’instant qu’un individu sait qu’il répond aux questions d’une enquête interculturelle entre deux groupes sociaux, il adapte spontanément ses réponses à ce cadre. C’est ainsi que le mexicain, même celui qui n’est jamais allé en France, non seulement aura un point de vue sur les français qu’il n’a pourtant jamais (ou peu) rencontrés, mais donnera sur lui-même un point de vue qui sera différent de celui qu’il donnerait sachant que l’enquête mettrait en cause des mexicains et des américains du nord, ou des mexicains et d’autres latino-américains, etc. De même, le français qui n’est jamais allé au Mexique donnera un point de vue sur lui-même différent de celui qu’il aurait donné sachant que l’enquête mettrait en cause des français et des anglais ou des français et des allemands, etc.

Il existe ainsi un effet de retour du regard de l’autre sur soi, par imaginaire interposé. Même lorsqu’il s’agit de parler de soi, et à plus forte raison lorsqu’on se trouve dans le pays de l’autre, au contact avec l’autre, c’est toujours en fonction de l’image de l’autre qu’on le fait.

Précisons enfin que cette enquête a porté sur quatre groupes, deux français et deux mexicains, les uns se trouvant dans le pays de l’autre (Français au Mexique et Mexicains en France), les autres dans leur propre pays (Français en France et Mexicains au Mexique).

Cela nous a permis d’étudier particulièrement l’effet de la variable contact/non contact qui se combine avec la variable hommes/femmes pour une population relativement homogène (études supérieures).

2. QUELQUES RESULTATS SAILLANTS DE L’ENQUETE

Etant donné que les sujets ont été amenés à répondre sur le double mode du “Nous sommes…” et “L’autre est…” avec, à l’intérieur de chaque mode une variation dans l’implication de celui-ci : “Nous sommes…” / “Nous croyons que nous sommes…” d’un côté et “Ils sont…” / “Ils croient qu’ils sont…” de l’autre, nous présenterons ces quelques résultats selon que le discours construit le sentiment de sa propre identité (“Nous”) ou la perception de l’autre (“Eux”).

Avant d’entrer dans le détail des résultats, on fera une remarque importante qui montre que l’interprétation des représentations n’est pas chose simple : ces traits doivent être interprétés selon :

- le sens qui est attribué aux mots utilisés pour les décrire (Polysémie). Ainsi, lorsque les mexicains s’attribuent le trait d’identité "chaud", il faut le comprendre comme “attitude d’extériorisation, de spontanéité, qui laisse libre cours à l’expression des sentiments” , alors que les français donnent à ce terme le sens de "violent".

Lorsque les français s’attribuent le trait d’identité "non ouvert", il signifie tantôt “absence d’esprit de convivialité”, tantôt “non communicatif avec son voisin”, tantôt “nombriliste”, et tantôt “absence de perspective mondiale, chez les hommes d’affaires”.

  • la valeur, positive ou négative, qui leur est accordée.
    Ainsi, le trait "nationaliste" recevra tantôt une valeur négative, tantôt une valeur positive, tantôt l’une et l’autre à la fois (ambivalence), selon la situation dans laquelle se trouve le sujet qui répond (V. ci-dessous).
  • le degré de vérité accordé à la réponse, celle-ci étant donnée tantôt sur le mode de l’évidence (“nous sommes…”), tantôt sur le mode hypothétique (“nous croyons que nous sommes…”).
  • le contact / non contact des populations entre elles, car un même trait d’identité peut varier en sens, en valeur et en degré de vérité selon que le sujet interviewé se trouve dans sons pays — où il n’a pas de point de comparaison observable et où il est plus dépendant d’un discours collectif qui circule dans son groupe social —, ou se trouve dans le pays étranger — où il peut réagir par comparaison.
1) LE SENTIMENT DE SA PROPRE IDENTITE

Il s’agit ici d’une application auto-réflexive de la perception de son identité, qui est décrite soit de manière négative, ce qui produit une forme de discours d’aveu auquel il faut bien trouver une compensation pour le soutenir, soit de manière positive, ce qui produit une forme de discours de revendication qu’il faut bien justifier, car il est une arme à double tranchant.

a) Le "discours d’aveu" des mexicains et des français.

D’une manière générale, on pourra constater que les mexicains avouent peu de défauts sur le mode Q1 (“nous sommes”) et beaucoup plus sur le mode Q2 (“nous croyons”), alors que les français s’attribuent plus de traits négatifs en Q1 qu’en Q2. Le mode Q2, de par l’ambigüité qu’il contient, permet plus facilement une auto-attribution négative ; il est toujours possible de se retrancher derrière un “mais c’est faux” ou derrière un “mais ce n’est qu’une hypothèse”. Les réponses en “nous croyons” permettent de mieux se protéger la face. Le mode Q1 est en revanche plus direct dans l’auto-critique.

Les mexicains donc ne se reconnaissent que très rarement des traits d’identité négatifs à la question “nous sommes” (Q1), mais ils se reconnaissent "inférieurs" à la question “nous croyons que nous sommes” (Q2). Cette notion d’ "infériorité" est définie comme un complexe, c’est à dire comme une caractéristique identitaire déniée.

Le sentiment d’ "infériorité" est particulièrement ressenti par les mexicains qui se trouvent en France, lesquels rapportent ce sentiment à la tradition historique du "malinchismo". En revanche, ce sont les mexicains au Mexique qui insistent sur la "dénégation".

Les hommes mexicains, eux, se reconnaissent "machistes". Mais leur sentiment vis à vis de ce trait d’identité est variable.

Les hommes mexicains en France acceptent davantage cette caractéristique comme un défaut et le définissent comme un abus de domination sur la femme, mais sont moins nombreux à se reconnaître tels.

Les hommes mexicains au Mexique, moins soumis à une comparaison immédiate, sont plus ambivalents. Pour une part ils reconnaissent la prédominance de l’homme sur la femme, tant sur le plan familial que sur le plan social, mais pour une autre part, ils considèrent ce phénomène comme enraciné dans une culture de la société mexicaine et comme constituant l’un des fondements idéologiques de l’état. Au mieux le mexicain, sans accepter totalement la valeur de ce trait d’identité se dit victime d’un système social qui l’a ainsi fait.

Les français, en général, se reconnaissent des traits d’identité négatifs, les mêmes, aux questions Q1 (“nous sommes”) et Q2 (“nous croyons que nous sommes ”), mais avec une différence intéressante.

Au Mexique, c’est à dire au contact avec un peuple qu’ils jugent "ouvert" et "communicatif", les français se disent "non ouverts". Il entendent par là qu’ils manquent de sens de la convivialité ("individualistes "), que leur caractère ne les porte pas à établir facilement des contacts avec les autres. Ils vont même jusqu’à dire qu’ils sont "nombrilistes ", raison pour laquelle ils ne sauraient pas s’implanter dans un pays étranger.

Le fait que ce soit les français au Mexique (et particulièrement les hommes) qui insistent sur ce trait laisse à penser que cet aveu apparaît du fait de leur contact avec un peuple auquel ils attribuent par ailleurs un trait d’identité contraire ("ouvert ") qui est perçu comme une qualité idéale.

Mais on pourrait également faire l’hypothèse que c’est moins le contenu de l’aveu qui importe que la revendication elle-même : celle-ci révèlerait une prise de conscience sous-jacente, une possibilité d’“auto-critique” qui compenserait la négativité de l’aveu.

Le fait qu’en France les français avouent être "râleurs" montre qu’ils ont bien assimilé un discours d’auto-représentation qui circule dans leur société.

Au Mexique comme en France, les français se disent également "dominants", "supérieurs" et "chauvins". Cependant si les français au Mexique soulignent le côté “donneur de leçons ” du français face aux mexicains, les français en France semblent rendre plus positifs ces traits d’identité en s’appuyant sur le passé historique de la France et sur la reconnaissance de celui-ci par les autres pays.

D’ailleurs, les réponses sur le mode du “croyons que nous sommes” révèlent encore plus cette opinion ambivalente que les français ont sur eux-mêmes : après tout, semblent-ils dire, nous avons des raisons de penser que nous sommes"supérieurs", ce qu’ils résument dans l’emploi du mot "développés" auquel ils accordent une valeur très positive.

b) Le "discours de revendication" des mexicains et des français.

Les mexicains qui se trouvent au Mexique ainsi que ceux qui se trouvent en France revendiquent volontiers les traits d’identité "hospitaliers", "solidaires", "ouverts" aussi bien en Q1 (“nous sommes”) qu’en Q2 (“nous croyons que nous sommes”).

Il est à remarquer cependant que la valeur attribuée à ces traits est ambigüe. D’une part est bien soulignée le sens de l’accueil come caractéristique positive des mexicains, mais en même temps ceux-ci précisent que cette qualité s’exerce plutôt vis à vis des étrangers (de l’Etranger), et beaucoup moins, sinon pas du tout, vis à vis des mexicains eux-mêmes. Ils vont même jusqu’à invoquer la surdétermination du "malinchismo " qui fait que le peuple mexicain aurait à assumer une contradiction historique face à ce que représente l’"autre-étranger" (voir le rôle de la Malinche dans l’histoire de la conquête espagnole).

Les mexicains, principalement ceux qui sont au Mexique, revendiquent le trait d’identité "chauds".

Ce qu’il faut noter ici c’est que le sens du trait "chaud" ne correspond pas à celui que leur attribuent les français en Q3. Pour les mexicains il s’agit d’identifier un comportement qui, vis à vis de la femme, consiste à être sentimental, à exprimer ses sentiments. Il s’agit d’une vision "romantique " : les sentiments affleurent sans contraintes. Pour les français il s’agit d’un comportement qui “exprime ses pulsions intérieures avec violence, sans maîtrise”. La vision est ici plus exotique , résultat d’une imagerie cinématographique.

Les mexicains revendiquent les traits "fiables" et "capables" (seulement en Q2), dans le même instant qu’ils avouent être "non fiables" (aussi bien en Q1 qu’en Q2). A y regarder de près cela n’est pas contradictoire. En effet, les mexicains ne s’attribuent les traits positifs qu’en Q2, c’est à dire sur le mode “croyons que nous sommes ”. De plus ils précisent dans leurs explications qu’ils faut entendre ces mots dans le sens de “potentiellement capables, pleins de ressources, d’ingéniosité et d’esprit inventif, capables de s’adapter aux circonstances (ce que ne savent pas faire les étrangers) toutes choses qui ne sont malheureusement pas reconnues”. Et c’est ainsi qu’il faut entendre leur "intelligent" qui est à rapprocher de "imaginatif".

Les français revendiquent ces mêmes qualités mais en leur donnant des sens différents. "Fiables" est revendiqué par les français qui se trouvent au Mexique, lesquels, par comparaison avec ce qu’ils observent au Mexique se réfèrent à : “un sens de l’organisation du travail, de la ponctualité, de la compétence et le sens de la responsabilité”. Quant à l’ "intelligence" elle n’est pas définie par rapport à un "savoir faire " comme chez les mexicains, mais par rapport à une tradition culturelle du "goût français " et de la "rationalité française ".

Pour ce qui concerne le trait d’identité "nationaliste" qui est revendiqué aussi bien par les mexicains que par les français, on remarquera la différence de sens attribuée à cette notion par les uns et les autres.

Les français qui revendiquent ce trait sont ceux qui se trouvent au Mexique ; c’est à dire que cette revendication est d’ordre réactionnel : elle se produit face à l’autre. Du coup, ils s’appuient, pour définir ce trait, sur la profondeur de l’histoire, l’ancienneté du passé, la cohérence d’une tradition culturelle, toutes choses qui garantissent un sentiment d’indépendance. Cela justifie à leurs yeux un orgueil qui ne peut être évalué que de manière positive.

Les mexicains qui revendiquent ce trait sont en revanche ceux qui se trouvent au Mexique. Leur réponse n’est donc pas immédiatement réactionnelle comme celle des français, et montre qu’il circule au Mexique un discours sur le "nationalisme " qui est fort prégnant. De plus on remarquera que ce trait correspond à des réponses faites sur le mode Q2 (“nous croyons que nous sommes”). C’est ce qui rend quelque peu ambivalente la valeur accordée à ce trait : certes, les mexicains en retirent un certain orgueil et ressentent ce "nationalisme" comme une sorte de ciment social, mais en même temps ils le dénoncent comme étant le résultat d’une “manipulation idéologique” fomentée par un discours historique officiel dont ils seraient plus ou moins la victime, la victime d’une “structure verticale et paternaliste du pouvoir ” (C. Fuentes).

2. LA PERCEPTION DE L’AUTRE
a) L’effet de"fascination".

Il ne faut pas considérer le terme "fascination" comme signifiant un “attrait irrépressible pour l’autre”. En fait cet effet est le résultat d’un double mouvement : parce que nous reconnaissons à l’autre une qualité (trait positif), que nous ne possédons pas, cet autre nous attire comme représentant d’un modèle idéal auquel nous voudrions nous identifier, mais en même temps cet autre nous exclut parce qu’il possède ce que nous n’avons pas.

C’est un des effets contradictoire du désir.

Les français en France et au Mexique disent que les mexicains sont "communicatifs" et "hospitaliers", mais avec un sens légèrement différent à celui que les mexicains donnaient à ces termes lorsqu’ils se les attribuaient.

Pour les mexicains ce comportement est typique de tout un peuple qui vit marqué par les "malinchisme".

Pour les français il s’agit de marquer l’énorme distance qui sépare les deux mentalité : en reconnaissant que les mexicains sont d’un "abord" facile, toujours prêts à vous "écouter" et à "rendre service", vous "accueillant" chez eux à bras ouvert, même les plus pauvres (“esta es su casa”), avec une grande "simplicité", ils reconnaissent en même temps, de manière implicite (encore que certains le disent explicitement), que les français ne sont ni "communicatifs" ni "hospitaliers".

Les français en France soulignent également que les mexicains sont "joyeux", mais à lire leurs réponses ils semblent quelque peu mitigés. Car ils reconnaissent que les mexicains sont "gais", qu’ils ont les "sens de la fête", qu’ils savent "rire" même dans le malheur, mais ils déclarent aussi que cela les rend quelque peu "irresponsables".

Il est vrai que pour le français qui a une certaine tendance à protester devant les vicissitudes de la vie ("râleur"), rire devant ces mêmes vicissitudes est l’indice d’une certaine "irresponsabilité".

Les mexicains au Mexique et en France disent que les français sont "fiables" et "intelligents". Par "fiables" ils entendent "méthodiques", "organisés" et "disciplinés". Il faut souligner ici que ces attributions sont bien révélatrices de ce que sont les points de vue interculturels ; car pour les allemands, par exemple, les français sont "indisciplinés" et ne sont pas les champions de l’ "organisation". Il y a donc fort à parier que cette "fiabilité" est jugée par défaut de ce que sont les mexicains. Il n’empêche que ce qui semble fasciner les plus les mexicains à ce sujet, ce soit l’ "esprit de systématisation" qu’ils ramènent d’ailleurs au stéréotype du "cartésianisme" (et particulièrement les mexicains qui sont au Mexique, ce qui montre qu’il existe, dans ce pays, une imagerie forte sur la France.

L’ "intelligence" est justifié d’une part, par une longue tradition culturelle (encore l’imagerie), mais surtout par une Education et des conditions de travail et de formation qui permettraient de développer, parallèlement et de manière cohérente, une réflexion théorique et une pratique.

Les mexicains semblent envier cette situation et font du même coup une critique de leur système éducatif.

b)L’effet de "rejet".

Il ne faut évidemment pas interpréter ce terme ici comme le ferait le sens commun. Il s’agit d’un phénomène de "catégorisation sociale" qui consiste à marquer la plus grande distance possible entre les traits négatifs que l’on attribue à l’autre, et soi-même, précisément pour se conforter dans l’idée que l’on ne possède pas ces traits et défendre ainsi une identité inverse. Il s’agit donc avant tout d’un mécanisme de "protection de soi".

Les français disent des mexicains qu’ils sont (ou se croient) "non développés", "dominés" et "inférieurs" et "non fiables".

Les français qui se trouvent en France ne donnent à ces termes que le sens que donne l’information économique et sociale sur les pays sous-développés ou en voie de développement ou du tiers monde ; et le Mexique se trouve englobée là dans les pays d’Amérique latine.

En revanche, les français qui se trouvent au Mexique portent un jugement à travers les expériences de relations de travail qu’ils ont eu avec les mexicains.

Pour eux, ceux-ci sont "non fiables" parce que “il n’est pas possible de jamais déterminer la nature exacte des relations qui s’établissent, parce qu’ils ne respectent pas la parole écrite, ni la parole donnée”. (V. ci-dessous 3).

Pourtant, ces mêmes français ne les jugent pas "incapables". Ils les voient pleins de "potentialités" mais malheureusement trop complexés par le voisinage des Etats-Unis ou l’image culturelle de l’Europe. Par ailleurs, ils sont victimes d’une propagande officielle qui les persuade qu’ils sont les meilleurs et que le Mexique est le plus grand des pays, ce qui fait qu’ils se croient "supérieurs".

En revanche, on constatera que les français sont plutôt positifs lorsqu’ils déclarent que les mexicains “se croient” "nationalistes. Ils s’étonnent même de constater que ceux-ci parlent de leur pays avec plus d’enthousiasme qu’ils ne le feraient eux-mêmes de la France, enthousiasme qui, pensent-ils, serait taxé, en France et ailleurs, de "chauvinisme".

Les mexicains disent des français qu’ils sont (ou se croient) "supérieurs", "chauvins" et "individualistes".

Il y a unanimité des mexicains pour dire que les français sont "pédants", "vaniteux", et "despotes" dans leur comportement, dans la mesure où ils veulent toujours avoir raison, et donnent des leçons aux autres.

Pour les mexicains en France c’est le "chauvinisme" qui prédomine.

En revanche, seuls les mexicains en France attribuent le trait "individualiste" aux français, du fait que ceux-ci n’entrent pas facilement en contact avec les autres.

Pour les hommes français le "machisme" des mexicains est essentiellement un paraître : une manière de se conduire face aux autres en ostentant “force, richesse et voiture”, un comportement de complicité et d’amitié virile entre hommes, dont la femme est écartée, une façon de mettre en avant l’honneur (ce sont surtout les français de France qui parlent d’ "hidalgo", une imagerie en provenance de la culture espagnole), mais tout cela avec une certaine générosité, chaleur et même tendresse, ce qui fait que les hommes français n’arrivent pas à être totalement négatifs sur ce trait d’identité qu’ils attribuent aux hommes mexicains.

Pour les hommes mexicains, le "machisme" est une caractéristique générale des hommes. Cela est enraciné dans leur culture dont ils sont les héritiers et contre laquelle ils ne peuvent rien, mais c’est également un comportement plus général, car cela serait vrai non seulement des français mais de tous les européens, à preuve le fait qu’il existe partout de par le monde des mouvements féministes. A généraliser de la sorte les hommes mexicains ne peuvent plus être considérés comme les représentants par excellence du "machisme", ils disparaissent dans la masse des hommes (ce qui signifie implicitement que l’ensemble des hommes est ainsi, ça ne doit pas être une tare), ce qui est le meilleur moyen de se protéger.

c) L’effet de "malentendu".

On a déjà vu, à propos de l’effet de "rejet" un cas de "malentendu" : Les français jugent les mexicains "non fiables" parce que, entre autres choses, le comportements de ceux-ci ne leur semble pas clair, et qu’ils ne savent jamais à quoi s’en tenir quant aux types de relations qui s’établissent avec les mexicains.

Il ne s’agit en fait que de différences de codes culturels quant à la façon de se comporter, et la méconnaissance du code de l’autre amène à interpréter le comportement de celui-ci en fonction de son propre code.

On peut d’ailleurs ajouter à cette opinion, cette autre des français qui jugent les mexicains "contradictoires".

Pour les français (exclusivement ceux qui se trouvent au Mexique), les mexicains sont à la recherche de leur identité, ne se sentant ni purement indiens, ni purement espagnols, ni européens, ni américains, ce qui rendrait leur comportement ambigu et difficilement interprétable pour les français.

En fait, cette vision du peuple mexicain procède bien d’un peuple qui a derrière lui une longue histoire de domination culturelle dans le monde, ce qui lui a toujours donné l’illusion d’être "un" du point de vue de son identité (la France a toujours pu gommer ses particularismes grâce à cette position dominante), et donc ne peut concevoir qu’un peuple puisse avoir une identité si ce n’est selon les mêmes critères.

Il est vrai que les mexicains, pris dans leur tradition du "Malinchisme" qui les amène à faire bonne figure en présence de l’étranger, ont toujours eu un comportement de non agression vis à vis de l’autre, au point qu’ils ne savent pas exprimer verbalement un "refus" (“sí, como no”) ou qu’ils ont du mal à polémiquer avec leur interlocuteur (toutes choses dans lesquelles se complaît le français), de crainte de le blesser, c’est à dire de s’exposer soi-même à la polémique de l’autre.

Le français, aura donc tendance à interpréter ces comportements selon ses propres critères culturels qui valorisent, au contraire, des rapports directs vis à vis de l’autre, rapports qui consistent par exemple à dire “oui” quand c’est "oui", et “non” quand c’est "non" (ce qui fait qu’il est considéré comme "agressif" ou "supérieur" par les latino-américains), ou valorisent des relations polémiques. Du coup, il interprétera le comportement des mexicains comme étant "hypocrite", "ambigu", voire "indécis" ce qui expliquerait qu’ils se laissent dominer par les autres.

Les mexicains, à l’inverse, disent des français qu’ils sont "froids" (Q7/11) et "individualistes" (Q3). Il s’agit là encore de jugements portés en fonction de ses propres codes culturels.

La "froideur" serait une absence d’extériorisation des sentiments intérieurs. mais, d’une part rien ne dit que les mexicains sachent reconnaître les signes d’extériorisation des français, qui ne sont pas forcément les mêmes que les leurs, d’autre part rien ne dit que la non extériorisation des sentiments signifie absence de sentiments.

On pourrait d’ailleurs constater que, symétriquement, les femmes françaises en France et les hommes français en France attribuent le trait d’identité "chaud", respectivement, aux femmes mexicaines et aux hommes mexicains. C’est que pour les français, la volubilité verbale, le contact facile et l’extériorisation spontanée des états émotifs sont interprétés comme un “manque de contrôle en soi”, alors que pour les mexicains (qui peuvent se contrôler tout autant que les français) être "chauds" signifie être "romantiques".

Quant à l’ "individualisme" que les mexicains attribuent aux français, même si ce trait d’identité semble a priori justifié quand on compare ces deux sociétés, rien, dans les réponses des mexicains, ne nous permet de dire si cet "individualisme" est propre à la mentalité française ou s’il est simplement le fait des sociétés modernes, auquel cas le mexicain ne se situerait plus par rapport aux français, mais aux sociétés des pays développés.

Qu’il s’agisse de la construction de l’identité du sujet à travers ses actes de langage, dans une quête de légitimation pour être reconnu par l’autre come ayant droit à la parole, ou de la construction d’une image identitaire à travers les multiples configurations d’un discours de représentation, on voit mise en œuvre cette interaction du même et de l’autre, qu’il n’est pas aisé de repérer, à cause des nombreuses ruses du discours, mais qu’il est d’autant plus passionnant d’analyser.

Patrick Charaudeau
Centre d´Analyse du Discours
Université de Paris 13
Notes
[1] PARRET, H. (1989), "La communication et les fondements de la pragmatique", revue Verbum, Tome XII, Fasc. 2, Presses universitaires de Nancy.
[2] GHIGLIONE, R. (1990), L’homme communiquant , A. Colin, Paris.
[3] CHABROL, C. (1990), "Réguler la construction de l’identité du sujet du discours", in L’interaction communicative, Peter Lang, Berne - Paris.
[4] Pour la définition de ces visées, voir P. Charaudeau, "Des conditions de la "mise en scène" du langage", in L’esprit de société, Mardagal, Bruxelles.
[5] Voir notre étude dans Verbum 1984, Tome VII, Presses universitaires de Nancy, et particulièrement l’analyse du dialogue “Antillais-vagabond” comme exemple de tentative de rejet et de revendication.
[6] CHABROL, C. (1990), id., voir note 3.
Pour citer cet article
Patrick Charaudeau, "La communication et le droit à la parole dans une interaction du même et de l’autre", in Sociotypes, Cahiers de Praxématique, Montpellier, 2004 (à compléter), 2004, consulté le 5 novembre 2024 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications.
URL: http://www.patrick-charaudeau.com/La-communication-et-le-droit-a-la.html
Livres
Articles
Textes de réflexion