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Crise universitaire : l’erreur sarkozyste

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Le champion de la rupture a effectivement consommé la rupture mais pas celle qu’il prétendait. Il a définitivement consommé la rupture entre certaines catégories sociales et sa personne. Car c’est bien de sa personne qu’il s’agit et non de la fonction. Par mépris ? Par arrogance ? Laissons à chacun le soin de répondre. Mais aussi par ignorance, et c’est là encore plus inquiétant pour la bonne marche de la société. Un exemple : la crise de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Une université ne se gère pas comme une entreprise, pas plus, d’ailleurs, qu’un pays ne se gère comme une entreprise : un peuple n’est pas un ensemble de salariés. Et si l’on peut parler d’erreur sarkozyste, c’est parce que le Président de la République a explicitement déclaré durant sa campagne [1], et encore après, que, au nom de l’efficacité et du mérite, la société devait fonctionner sur le modèle de l’entreprise, faisant ainsi écho à une idée qui court dans une partie de la société française. C’est d’ailleurs sur ce slogan qu’il a été élu par nombre d’électeurs travaillant dans le secteur des petites, moyennes et grandes entreprises.

Or, c’est une erreur, car ce qui justifie le fonctionnement du modèle entrepreneurial est une logique du profit, qui peut se réaliser pour le meilleur, et parfois pour le pire, comme le révèle la crise financière actuelle. Une université ne fonctionne pas selon un tel modèle : elle ne produit pas un bien de consommation, elle produit du savoir, des connaissances et de la formation. Elle ne se compose pas de travailleurs dont le salaire rémunèrerait une rentabilité immédiate. Elle comprend divers types de personnel : des enseignants-chercheurs, des administratifs (dont il faut rappeler que le salaire n’est pas à proportion de la grande responsabilité collective qu’ils ont à assumer), et un public, les étudiants, qui se répartit selon des disciplines et des niveaux de spécialisation différents. Une université n’est donc pas tendue, comme une entreprise, vers une production matérielle unique, mais vers une multiplicité de productions de savoir et de savoir-faire qui ne peuvent être gérées de façon pyramidale.

Il s’ensuit une organisation du travail particulière. Comment est organisée une université ? Il faut, contrairement à ce que serait l’organigramme d’une entreprise, commencer par le bas. Le bas, dans une université est le lieu de la production du savoir et de son enseignement, non seulement dans son exécution comme dans une entreprise, mais dans sa conception. C’est dans ce lieu que s’instituent les départements selon les disciplines et les spécialisations, et les laboratoires de recherche.

Les départements pour penser et concevoir le meilleur système de formation, pour répartir les enseignements selon les compétences des enseignants, pour évaluer par des jurys les performances des étudiants. Les départements constituent la cheville ouvrière du système d’enseignement universitaire dont le mode de fonctionnement est collectif, marqué par une grande solidarité entre ses acteurs. Il n’est pas gouverné par une logique du profit.

Mais tout enseignant universitaire est en même temps un chercheur rattaché à un laboratoire de recherche. Celui-ci est le lieu où est pensée et organisée la recherche par discipline. Il est composé de chercheurs dont le travail consiste à faire des lectures personnelles, partir à la recherche de documents, aller sur le terrain pour faire des enquêtes, procéder à des expérimentations en laboratoires, se réunir avec les membres du laboratoire pour faire le point sur la recherche, participer à des colloques nationaux et internationaux, organiser des programmes de coopération avec des universités et des centres de recherche étrangers, enfin, produire des articles et des livres scientifiques. Ne nous étonnons donc point que la charge d’enseignement (6 heures par semaine) semble légère à qui n’est pas dans ce circuit de la recherche.

A l’étage supérieur se trouvent les UFR (Unités d’Enseignement et de Recherche) qui s’appelaient autrefois Facultés. En fait, il ne s’agit pas vraiment d’un étage supérieur, car l’UFR qui rassemble l’ensemble des départements par aire disciplinaire (Lettres et sciences humaines, Droit, Économie, Physique, Mathématiques, etc.) travaille en osmose avec les départements par le biais de leurs responsables qui siègent au Conseil d’UFR. L’UFR est à la fois le lieu de coordination du travail des départements et celui de l’interface avec les instances de l’université.

Au-dessus donc se trouvent ces différentes instances que sont les Conseils qui constituent la gouvernance de l’université : la Conseil d’administration (CA), lieu suprême des décisions de gouvernance ; le Conseil scientifique (CS) lieu de gestion de la vie des laboratoires de recherche et des relations de coopération scientifique ; le Conseil des études et de la vie universitaire (CEVU), lieu de la gestion des questions pédagogiques, de la formation et de la vie des étudiants.

A ces différents niveaux, les responsables membres de ces Conseils sont élus, ce qui veut dire que chacun est comptable des positions et décisions qu’il prend au regard de l’ensemble de la communauté universitaire. On voit là qu’il n’y a aucune commune mesure avec l’organisation et le mode de fonctionnement d’une entreprise. Il faut affirmer hautement que l’université fonctionne selon une logique démocratique et non selon une logique du profit.

De quoi souffre donc l’université française ? De deux problèmes non résolus jusqu’à présent : comment réguler le flux des étudiants qui se présentent à ses portes ; comment se dégager d’une tutelle administrative trop contraignante. Ce dernier point est crucial, car cette tutelle ne peut s’empêcher de déverser des directives qui perturbent plus qu’elles ne facilitent la gestion des universités. Il faut savoir que, régulièrement, à chaque changement de Présidence de la république, elle se met en tête de faire une réforme au nom de critères étrangers à la vie universitaire. Chaque réforme complexifie plus qu’elle ne simplifie le fonctionnement des universités, mobilisant les énergies de ses acteurs de façon telle qu’ils ne peuvent plus consacrer le temps nécessaire à ce qu’exige leur fonction d’enseignant-chercheur.

Or, que propose la loi LRU ? Rien pour régler sérieusement la question du flux des étudiants (problème dramatique), et une autonomie de gestion qui voudrait ramener toutes les questions d’ordre pédagogique et scientifique à la seule raison administrative.

L’autonomie financière est bien venue s’il s’agit de donner aux universités la possibilité de gérer au mieux les finances dans le cadre d’un plan quadriennal. Mais cette autonomie ne peut s’appliquer au recrutement, au mode de fonctionnement et à la promotion du corps des enseignants et des chercheurs, sous la houlette d’un président tout puissant (vieux rêve du patron d’entreprise). Un président d’université doit agir sous la contrôle de ses Conseils et non l’inverse, pour la simple raison qu’il ne peut être compétent sur tout, qu’il ne peut tout savoir sur toutes les disciplines, leur mode d’enseignement et leurs exigences de recherche.

La recherche universitaire est une recherche fondamentale qui ne peut être orientée de façon autoritaire autour d’axes dits prioritaires définis par un pouvoir politique, économique ou administratif. La recherche fondamentale doit être libre de toute coercition administrative, car, d’une part on ne sait jamais par avance sur quoi elle va déboucher, et d’autre part elle n’est efficace que menée et évaluée de façon collégiale par les pairs constituant la communauté scientifique, comme cela se fait dans les universités d’autres pays, y compris aux États-Unis. Il ne faut pas confondre recherche fondamentale et recherche appliquée qui, elle, peut être orientée, ciblée, et se développe d’une autre façon.

Voilà pourquoi vouloir gérer l’université comme une entreprise est un non sens. Le mode d’organisation ne peut être celui d’une organisation pyramidale dans laquelle le président, comme le patron d’entreprise, aurait tous les pouvoirs. Comme bien des réformes antérieures, la loi sur l’autonomie des universités ne règle pas ces problèmes de fond. Elle confond raison économique et raison scientifique. Elle peut inciter à une grande liberté de gestion, mais ne peut légiférer sur son fonctionnement pédagogique et scientifique qui est l’affaire des universitaires. Erreur sarkozyste, relayée par une ministre —voix de son maître— issue d’HEC et donc ignorant ce qu’est le fonctionnement de l’université, erreur d’une idéologie entrepreneuriale, qui risque d’être contreproductive et finira par produire un démantèlement de l’université française, dont il faut rappeler que, malgré tous les problèmes qu’elle connaît (et malgré le classement de Shanghai dont les critères sont iniques), elle comprend des enseignants et des chercheurs de très haute qualité. Les universitaires ne refusent pas les réformes. Au contraire, ils les appellent avec force, mais en concertation.

Mars 2009
Patrick Charaudeau
Professeur des universités
Notes
[1] Voir Entre Populisme et peopolisme. Comment Sarkozy a gagné, Vuibert, Paris, 2008
Pour citer cet article
Patrick Charaudeau, "Crise universitaire : l’erreur sarkozyste", Texte envoyé à Libération, consulté le 26 avril 2024 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications.
URL: https://www.patrick-charaudeau.com/Crise-universitaire-l-erreur.html
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