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De l’honneur des Présidents d’Université.
Un acte de rébellion collective

Lettre envoyée au bureau de la Conférence des Présidents d’Université

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Cher(e)s collègues,

Habitué de l’analyse des discours et des actions politiques, permettez-moi de vous faire part de mon point de vue sur la situation que connaît notre université.

  1. Il faut d’abord être bien conscient que Nicolas Sarkozy ne cèdera jamais. Il y va, à la fois, de son ego personnel, de sa croyance en ce qu’il est là pour réformer la France, et, pour se légitimer, il arguera du respect de ses promesses de campagne. Si d’aventure il doit reculer sur tel ou tel point, il mettra en place une stratégie de communication, comme il sait le faire, pour persuader le public qu’il a réussi.
  2. Au regard du public (particulièrement d’une classe moyenne d’artisans, commerçants, des PME, des cadres, des professions libérales, etc.), il maniera des arguments qui font mouche : les universitaires font partie de ces corporations qui refusent de se laisser réformer ; ils font preuve d’irresponsabilité à brader les diplômes et à laisser se dégrader l’image de l’université française.
  3. Dans ce rapport de force qui, il ne faut pas se le cacher, est en faveur du gouvernement, car il n’a pas grand chose à perdre en jouant le pourrissement, et il a tout à gagner à passer en force (« Nous au moins on a le courage d’aller jusqu’au bout des réformes »), restent deux solutions :
    • accepter en l’état la loi avec son dernier décret en annonçant qu’on a obtenu satisfaction sur certains points (mais cela ne sera pas entendu). Dès lors, il faut une déclaration et une action forte de la part des présidents et des Conseils d’administration, pour montrer que c’est là que se trouve la légitimité du pouvoir universitaire ;
    • face au refus du Ministère d’entrer en négociation, menacer de ne pas appliquer la loi. Pour ce faire, il faut l’unanimité des Présidents du CPU. Il faudrait que chaque président fasse signer à son Conseil d’Administration une déclaration comme quoi il refusera d’appliquer la loi si le ministère n’accepte pas de remettre tout à plat et de reconstruire, en concertation, un nouveau projet de loi.

Quelle mesure de rétorsion aurait le gouvernement ? Couper la pompe à finance. Mais alors, c’est lui qui serait responsable du non fonctionnement de l’université française. Evidemment, il essaiera de jouer la division en flattant ou dotant certaines universités, jugées plus dociles, de moyens importants. C’est de bonne guerre, raison pour laquelle il faut rester solidaire.

Dans tout cela, j’ajouterai qu’il se joue quelque chose de symbolique au regard d’une éthique républicaine. Le pacte républicain repose sur un rapport de confiance entre gouvernants et gouvernés : double rapport de devoir pour les gouvernants, de droit pour les gouvernés. Le mépris avec lequel notre Président et notre Ministre de tutelle traitent notre corporation, par leurs déclarations, rompt ce pacte de confiance et contribue à nous déconsidérer auprès d’une population dont il ne faut pas se cacher qu’une grande partie nous est hostile. Aussi, je pense qu’il y va maintenant de l’honneur des Présidents d’université. Seuls, eux, pourraient redonner à la communauté universitaire sa dignité, condition pour que le reste s’ensuive. On ne se trouve plus dans une société où les conflits s’instauraient et se dénouaient entre forces syndicales et gouvernementales. Dans la fonction publique, il n’y a pas d’intermédiaire entre ses agents et ses responsables car ceux-ci sont aux ordres de leur ministère de tutelle. Nous, nous avons la chance d’avoir une gouvernance dans laquelle les dirigeants sont des Conseils élus, raison pour laquelle l’université ne peut pas fonctionner comme une entreprise. A ces Conseils de montrer leur souveraineté.

Evidemment, pour que cela puisse avoir des chances d’aboutir, il faut une solidarité sans faille. Il faut faire montre d’unanimité. C’est là qu’est la question : les présidents d’université sont-ils tous d’accord entre eux, et sont-ils prêts à se lancer dans une telle démarche ? L’intérêt général peut-il primer sur les intérêts particuliers ?

Mai 2009

Patrick Charaudeau
Professeur des Universités
Pour citer cet article
Patrick Charaudeau, "De l’honneur des Présidents d’Université.
Un acte de rébellion collective", Lettre envoyée au bureau de la Conférence des Présidents d’Université, consulté le 19 avril 2024 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications.
URL: https://www.patrick-charaudeau.com/De-l-honneur-des-Presidents-d.html
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