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Dis-moi comment tu t’appelles (notes de campagne)

NOTES DE CAMPAGNE (Un regard sémiologique)

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"Sarko", "Ségo", quelle réussite hypocoristique ! Car n’a pas droit à un raccourci de son nom qui veut ni dans n’importe quelle condition. Il y faut d’abord des conditions linguistiques : que le nom soit composé d’au moins trois syllabes. Allez tronquer Bayrou ou Le Pen. A moins que la première partie permette d’opérer un redoublement, car le monosyllabe ne se soutiendrait pas tout seul, il lui faut un compagnon du même : Fillon peut devenir "Fifi", Joly devenir "Jojo", Copé, "Coco", Jupé, "Juju", Chatel, "Chacha". Encore faut-il que cette appellation puisse faire écho dans le sentiment populaire, ce qui valut à Chirac, d’être affectivement transformé en "Chichi" et Mitterrand en "Mimi". Ou alors, il faut que la première syllabe fasse écho à un autre nom ayant une signification symbolique, comme c’est le cas de Chevènement, notre miraculé de la république, qui a été élevé au rang d’un "Che", combattant de la souveraineté nationale.

Mais cela ne suffit pas. Tout nom comportant trois syllabes ou davantage, ne se prête pas nécessairement à une amputation heureuse. On ne voit pas trop ce que donnerait "Mélan" de Mélenchon, à moins de transformer la finale en "Méluche". Il faut, de préférence, que la première syllabe comporte une voyelle plus ouverte que la seconde, et que les voyelles respectives soient séparées par une consonne dure (occlusive dit-on en phonétique). La langue française n’ayant pas une intonation à accentuation tonique, comme l’italien, l’espagnol ou le portugais, et la tendance étant à accentuer les mots vers la dernière syllabe, il est préférable que l’on aille d’une syllabe à voyelle ouverte vers une plus fermée avec une consonne dure, ce qui fait le succès de nombre de troncations populaires en français comme « être accro ». D’où l’avantage de "Sarko" sur celle qui fut sa concurrente en 2007 : "Ségo". L’avantage d’avoir dans son nom une consonne occlusive sourde, quand celle de Ségo est sonore, la première suggérant force et puissance par opposition à l’autre qui suggère plutôt la douceur. On dira que ce phénomène est d’un emploi populaire, au sens où tout un chacun peut se l’approprier. Il s’ensuit que le surnom endosse une forte charge affective, pour le meilleur ou pour le pire. Voyons donc les noms de quelques uns des candidats à la course élyséenne.

Nicolas Sarkozy

Bien sûr, il y a Nicolas, prénom que l’écrivain Patrick Rambaud parodia férocement en contant Le règne de Nicolas Ier. Il pourrait être réduit en "Nico", mais cela ferait davantage surnom employé dans les familles ou échangé entre copains. Trop banal. Mais "Sarko". Tendre familiarité ? Manque de déférence ? Ce sera l’un ou l’autre selon qu’on l’aime ou pas, qu’il attire la sympathie ou son contraire, qu’on le soutient ou qu’on s’oppose à lui.

Cette réduction de Sarkozy en "Sarko" présente d’autres avantages : la finale "r" de la première syllabe est d’une prononciation gutturale ("vibrante uvulaire", dit-on en phonétique), elle se trouve placée avant "k", une consonne occlusive, et elle est suivie d’une voyelle dite semi fermée ("o"), le tout se prêtant facilement à être criée dans les rues : « Allez Sarko ! » « Ça sonne bien », comme ont dit, et cela est important pour que le surnom puisse circuler de bouche en bouche.

Ainsi naquit le "Sarko" 2007, qui fut l’objet d’admiration contenue pour ceux qui reconnurent en lui un parcours politique sans concession pour ses adversaires ("arriver à tout prix sur la première marche du podium"), d’adhésion docile pour ceux, de droite comme de gauche, qui acceptèrent de le servir ("l’ouverture"), d’adhésion aveugle, pour ceux qui étaient prêts à "travailler plus pour gagner plus", de sympathie libératrice pour ceux qui voyaient en lui le pourfendeur du passé et de Mai 68 (la "rupture"), même quand il se permit les « Casse- toi, pauv’ con ! » et autres fioritures, car ils pensaient que « Quand même, il en a ! ». Ce sont les « accros » de « Sarko ». De plus, en forçant l’analogie, on pourrait dire que ce surnom accrocheur, râpeux, voire rageur, colle bien à l’image de battant agressif qui caractérise son porteur. Mais renversons la charge : il fut aussi l’objet de critiques acerbes de la part de ceux qui avaient une image noble de la fonction de chef d’État, objet de rejet de la part de ceux qui n’acceptaient pas une gouvernance du mépris.

Nous sommes en 2012, après cinq ans d’une gouvernance dont le bilan laisse à désirer pour la plupart des commentateurs, ave une Majorité de gouvernement qui n’est plus aussi unanime, et un chef qui aspire, sans encore se déclarer candidat, au renouvellement de son mandat. Il ne peut plus endosser l’habit du "Sarko 2007". Quel va être son nouveau costume ? Quelle nouvelle image peut-il espérer donner aux électeurs ? Quel goût aura le "Sarko nouveau" ?

Marine Le Pen

Le Pen. Il y a eu des jeux plus ou moins scabreux sur ce nom, du temps de Jean-Marie. Mais ce nom se prête bien à une scansion appropriée pour être criée dans les meetings : deux syllabes, avec un début liquide (une consonne liquide latérale) suivi d’une consonne explosive (occlusive bilabiale sourde) qui pète comme un coup de poing, à l’image des coups de gueule provocateurs du père de Marine. Évidemment, tout le monde n’est pas censé savoir qu’en breton Pen signifie "tête", "extrémité de", d’où "promontoire", étymologie renforçant fantasmatiquement le désir de "chef" (caput, en latin, a donné "chef" qui est entré dans "couvre-chef") et l’image du breton bretonnant têtu (testa, par une série de dérivations en latin est arrivé à "coquille de mollusque", autrement dit, ce qui est dur, et donc "crâne"). Et puis ce "le", article qui, dans la construction des noms de famille, servait à désigner les individus par une de leurs caractéristiques : « celui qui » ; mais qui peut aussi apporter un sens d’exclusivité, "le" laisse alors entendre : « ce qui est unique » et par voie de conséquence : « ce qui est, par excellence », comme quand on lit dans une Carte de restaurant : « Le Turbot du Chef ». Figure d’antonomase dit la tradition grammaticale, employée populairement, souvent avec admiration. « The boss » disent les anglais, « The patron » dit-on familièrement en français en s’appropriant le vocable anglais.

Mais Le Pen n’est plus en vogue. C’est Marine qui a repris le flambeau en essayant de repousser dans l’ombre la silhouette quelque peu gênante de son père. « Marine, Marine ! », oui ça sonne bien, avec deux syllabes bien moins agressives que son nom. Et puis, un prénom auquel on peut trouver trois filiations, dont l’une renvoie mieux l’image de celle qui la porte. Il y a d’abord la Marine de la mer, rappelant le courage, la patience et la ténacité des pêcheurs de Bretagne, lieu de naissance de son père. Il y a aussi, à la racine de Marianne, Marie, la mère souffrante de Jésus, mais courageuse, digne, devenue mère protectrice dans l’imaginaire populaire. Et puis, évidemment, il y a Marianne, un composé de Marie et Anne que les Révolutionnaires collèrent l’une à l’autre, ne serait-ce que pour s’opposer aux Aristocrates qui prisaient le nom composé Marie-Anne. Marianne donc, figure allégorique de la République française, symbole de la « mère patrie », de la mère nourricière qui protège les enfants de la République, mais Marianne combattante, coiffée du bonnet phrygien, porteuse du drapeau de la République, guidant le peuple français au combat, par-dessus un champ jonché de morts, comme le montre le tableau de Delacroix.

On aurait pu penser à Jeanne d’Arc que célèbre régulièrement le Front national come emblème de la francité. Mais dans l’imaginaire populaire, on représente cette petite paysanne, certes forte de caractère, mais fragile de corpulence. Rien à voir, de ce point de vue, avec Marine Le Pen, grande et corpulente ayant une allure et une gestuelle plus masculine que féminine, du moins en meeting. Marine, on la verrait plutôt comme la Marianne au bonnet phrygien, combattive, haranguant les foules, lançant des invectives contre la classe politique (mais sans les dérapages verbaux de son père), défendant la souveraineté du peuple au même titre que d’autres hommes politiques de la droite classique comme de la gauche classique (Jean-Pierre Chevènement) ou radicale (Jean-Luc Mélenchon). C’est en tout cas comme ça que la voient ses partisans.

Voilà qui contribue à la dédiabolisation du Front national, stratégie qui en est arrivée à décomplexer certains de ses sympathisants qui n’osaient se découvrir, à agréger des insatisfaits de toutes classes sociales, de tout bord idéologique, sans mauvaise conscience.

François Bayrou

Quoi dire de François Bayrou ? Un prénom qui ne se contracte guère comme peut le faire l’espagnol qui transforme Francisco en "Paco". Certes il est parfois scandé « Fran-çois, Fran- çois ! » mais ces deux syllabes ne sont pas très percutantes. Et de Bayrou, patronyme qui se compose également de deux syllabes ? D’abord, il faut savoir si l’on prononce "bè-rou" ou "baï-rou" à la béarnaise (c’est-a-dire en langue d’oc), en diphtonguant la première syllabe et en roulant le "r". La deuxième prononciation a l’avantage de faire couleur locale, l’habillant d’un certain exotisme, mais cela peut aussi être contreproductif, pour un homme qui veut avoir un destin national, et qui pourrait être taxé de paysan (il est fils d’un agriculteur), avec ce que cette prononciation peut avoir de péjoratif dans la bouche d’un Français citadin. Cela n’évoquerait pas l’image de notable, éleveur de chevaux pur-sang. Et pourtant, dirai-je, moi qui suis d’origine paloise, que le Baïrou avec diphtongue et en roulant le "r", colle bien avec ce côté à la fois rural mais noble (hobereau), intelligent mais limité par sa fierté, fraternel mais fermement individualiste et obstiné, toujours partisan d’un certain équilibre dans la gestion des choses de la vie, et donc prônant, sur le plan politique, un centrisme qui ne veut pas reconnaître les différences entre droite et gauche ?

C’est peut-être là l’explication de son principal handicap : avoir des amis et même des relations, mais point de réseaux d’influence ; avoir des soutiens, une équipe, mais point de base militante ; avoir des sympathies électorales de premier tour mais point d’électorat stable.

François Hollande

Et Hollande ? Que peut-on faire avec un tel nom ? Je ne parle pas de jeux de mots, mais de possibilités d’en faire un surnom affectueux, moqueur ou de combat. Il y a peu d’accroche dans ce nom formé d’une première syllabe avec une voyelle semi fermée dont la prononciation (« Oh ! ») évoque plutôt l’étonnement ou l’indignation, et d’une seconde ("lande") qui se prononce en une fois, formée d’une consonne liquide et d’une nasale, douce combinaison qui n’a rien de percutant. Bien sûr, on pourra toujours scander : « Hollande, Hollande ! » et « François, François ! », mais cela n’a pas la force, comme on l’a vu, d’un « Sarko, Sarko ! ». Est-ce que ce nom correspond au tempérament de la personne ? Peut-être, si l’on y entend une douce nonchalance faisant écho à son visage tout en rondeur, quelque peu poupon, amène, au regard dépourvu de perversité, mais non exempt de quelque malice.

C’est peut-être là son avantage, par comparaison : un nom, un visage, un regard pouvant inspirer confiance, droiture, sincérité, authenticité, ce dont d’autres se prévalent sans y parvenir. Après tout, peut-être retrouve-t-on là cette distance nécessaire au respect de la fonction de chef d’État, comme le général De Gaulle dont le nom ne se prêtait guère à transformation [1]. C’est peut-être de cette distance, de cette dignité, garante de sérieux et susceptible d’inspirer confiance dont a peut-être besoin le peuple en ces temps de désarroi citoyen. Mais méfions-nous des apparences : François Hollande, lors de ses deux prestations oratoires a su faire montre de grande pugnacité.

L’avenir nous dira lequel de ces surnoms décrochera la palme, celle qui mène à la magistrature suprême.

Patrick Charaudeau
Professeur Émérite
Université Paris XIII
CNRS-LCP
Paris, le 14 février 2012
Notes
[1] Un lecteur avisé m’a rappelé que dans les années soixante-soixante-dix, on entendait dans les manifestations : « Charlot, des sous ! »
Pour citer cet article
Patrick Charaudeau, "Dis-moi comment tu t’appelles (notes de campagne)", NOTES DE CAMPAGNE (Un regard sémiologique), consulté le 27 avril 2024 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications.
URL: http://www.patrick-charaudeau.com/Dis-moi-comment-tu-t-appelles.html
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